LES ÉTATS-UNIS

© Jean-Louis BOURGOUIN

 

ÉTATS-UNIS MODE D'EMPLOI

 

     Les tarifs postaux entre la France et les États-Unis sont relativement complexes, donc passionnants. Comme vous pourrez le constater, j'ai un peu plus développé les méandres de ce tarif, que pour la plupart des autres pays.

   
 A.  Il faut commencer par bien distinguer les quatre périodes :
 

        - 1. de 1849 au 30 mars 1857 :
     Il n'y a pas de convention postale entre les États-Unis et la France. Les lettres sont affranchies seulement jusqu'au port de débarquement (Boston et New-York) (
PP) et taxées par la poste américaine.
  
        - 2. du 1er avril 1857 au 31 décembre 1869 :
     Application de la convention postale franco-américaine du 2 mars 1857. Les lettres peuvent être affranchies jusqu'à destination (
PD), quelque soit la voie.
 
        - 3. du 1er janvier 1870 au 31 juillet 1874 :
     Il n'y a plus de convention postale entre la France et les États-Unis. Les lettres sont affranchies seulement jusqu'au port de débarquement (Boston, New-York, etc..) (
PP) et taxées 10 cents (par tranche de poids) par la poste américaine. Par contre il y toujours une convention postale entre l'Angleterre et les Etats-Unis. Les lettres peuvent donc être affranchies jusqu'à destination (PD) par la voie d'Angleterre.
     Je crois bien que c'est le seul cas de cohabitation d'un PP par la voie des paquebots-poste français avec un PD par la voie d'Angleterre, pour une même destination.
 
        - 4. du 1er août 1874 au 31 décembre 1875 :
     Il y a de nouveau une convention postale entre la France et les Etats-Unis. Les lettres peuvent être affranchies jusqu'à destination (
PD) par la voie française. Au même tarif que par la voie d'Angleterre.

    
B.  Deuxième difficulté, le nombre varié de voies :
 

        - Voie d'Angleterre et des paquebots anglais,
        - Voie d'Angleterre et des paquebots américains,
        - Voie de Bremen (Brême) et des paquebots américains,
        - Voie du Havre et des paquebots américains,
        - Voie des paquebots canadiens,
        - Voie des paquebots français,
        - Voie des paquebots allemands,
        - Voie des bâtiments du commerce,
        - Etc...


    
C.  Les taxes américaines :
 

        Comme indiqué dans le §
A, pendant les périodes 1 et 3 ci-dessus, les lettres sont affranchies jusqu'au port de débarquement et taxées à l'arrivée par la poste américaine (jusqu'en 1854, les lettres portent réglementairement la griffe PD, et ensuite la griffe PP. Mais après 1854, certaines lettres portent encore la griffe PD au lieu du PP : voir dans
Tarif du 1er janvier 1828, le paragraphe PORT PAYÉ).
        Pour ajouter un peu de piment au sujet, les taxes appliquées par la Poste américaine sont différentes selon l'époque, l'origine, la voie empruntée, l'échelon de poids, etc.... D'où une grande variété de taxes, qui sont soit isolées dans un cercle, soit incorporées dans divers cachets à date.
        Voici donc un petit guide des taxes américaines en fonction de la voie empruntée, pour la lettre simple (pour les échelons supérieurs voir le §
D. ci-dessous).
 
         
T1 . Voie des bâtiments du commerce :
 

Date d'application

Destination de la lettre

Lettre simple

Taxe intérieure

+ Droit fixe

Taxe totale

1er juillet 1845

Port de débarquement

Jusqu'à 1/2 once

6 cents

 

6 cents

idem

Dans un rayon de 300 miles*

idem

5 cents

+ 2 cents

7 cents

idem

Au delà de 300 miles*

idem

10 cents

+ 2 cents

12 cents

 
       
*A partir du 1er juillet 1851, le rayon passe à 3000 miles.

         
 T2 . Voie d'Angleterre et des paquebots anglais :
 

Date d'application

Destination de la lettre

Lettre simple

Taxe américaine

15 février 1849

Pour tous les États-Unis (sauf côte Est)

Jusqu'à 1/2 once

5 cents

idem

Pour la Californie et l'Oregon

idem

40 cents

1er juillet 1851

Jusqu'à 3000 miles

Jusqu'à 1/2 once

5 cents

idem

Au delà de 3000 miles

idem

10 cents


       
  T3 . Voie d'Angleterre et des paquebots américains :
 

Date d'application

Destination de la lettre

Lettre simple

Taxe américaine

15 février 1849

Pour tous les États-Unis (sauf côte Est)

Jusqu'à 1/2 once

21 cents

idem

Pour la Californie et l'Oregon

idem

56 cents

1er juillet 1851

Jusqu'à 3000 miles

Jusqu'à 1/2 once

21 cents

idem

Au delà de 3000 miles

idem

26 cents


         
T4 . Voie du Havre et des paquebots américains :
 

Date d'application

Destination de la lettre

Lettre simple

Taxe américaine

1er octobre 1850

Port de débarquement

Jusqu'à 1/2 once

24 cents

idem

Dans un rayon de 300 miles

idem

29 cents

idem

Au delà de 300 miles

idem

34 cents

1er juillet 1851

Jusqu'à 3000 miles

Jusqu'à 1/2 once

20 cents

 
          Exemple :
 

Du Havre par paquebot américain
LETTRE 1er ÉCHELON (jusqu'à 7,5 g.)
Affranchissement à 30 c.
+ taxe 20 cents

     Cette lettre a été postée au Bureau Maritime du Havre le 9 mars 1857. Elle a été acheminée aux Etats-Unis par le paquebot américain "Arago" de la ligne Le Havre-New-York. Elle est arrivée à New-York le 28 mars, où le bureau d'entrée a apposé le cachet-taxe "N. YORK. AM PKT  20".

 

     D.  Les échelons de poids :
 

        Pour compliquer un peu plus le sujet, les échelons de poids des États-Unis étaient différents de ceux la Grande-Bretagne (jusqu'en mars 1849) et de ceux de la France :

France*

jusqu'au 31.12.69

Grande-Bretagne

États-Unis

jusqu'en mars 1849

États-Unis

après mars 1849

Tarifs

jusqu'à 7,5 g.

jusqu'à 1/2 oz

jusqu'à 1/2 oz

jusqu'à 1/2 oz

1 port

de 7,5 à 15 g.

de 1/2 à 1 oz

de 1/2 à 1 oz

de 1/2 à 1 oz

2 ports

de 15 à 22,5 g.

 

de 1 à 1½ oz

 

3 ports

de 22,5 à 30 g.

de 1 à 2 oz

de 1½ à 2 oz

de 1 à 2 oz

4 ports

par 7,5 g.

 

par 1/2 oz

 

+ 1 port

 

par 1 oz

 

par 1 oz

+ 2 ports

 

*A partir du 1er janvier 1870, les échelons de poids passent à 10 grammes.

     L'unité de poids en Grande-Bretagne et aux États-Unis était l'once avoirdupoids (abréviation : oz).
     1/2 once = 14,17 grammes, 1 once = 28,35 grammes, 1½ onces = 42,52 grammes, 2 onces = 56,7 grammes, etc...
 

     E.  Les taux de remboursement français ou anglais (TR) :
 

        Comme toutes les conventions postales, les accords franco-américains et anglo-américains prévoyaient un remboursement de l'administration postale de départ (qui avait encaissé la totalité du port) à l'administration postale d'arrivée pour le transport qu'elle effectuait chez elle. Les États-Unis sont le seul pays qui indique systématiquement le taux de remboursement sur les lettres qui arrivent (ou partent) de son territoire.
     Les lettres provenant de France portent donc l'indication du T.R. dû à la poste US, sous forme d'un tampon rouge ou noir, plus rarement d'une inscription manuscrite au crayon ou à l'encre.
     Celui-ci dépend évidemment de la voie empruntée, ainsi que de la période. On peut ainsi trouver des T.R. de 2, 3, 5, 9 ou 12 cents, pour une lettre du 1er échelon. Et donc tous les multiples pour les échelons supérieurs.
     Exemple :
 

Tarif du 15 juin 1864 par la voie française
LETTRE 2ème ÉCHELON (de 7,5 à 15 g.)
Affranchissement à 1,60 F

     Cette lettre, postée à Paris le 3 décembre 1868, a embarqué au Havre sur le paquebot "St-Laurent" de la ligne française H. Elle a transité par New-York le 20 décembre 1868, avant d'arriver à Savannah. La poste américaine à indiqué le taux de remboursement 6. (2ème échelon de poids) au tampon rouge. La poste française ayant encaissé 1,60 francs pour le trajet total devra rembourser 6 cents à l'US post office.


     Si cette lettre avait emprunté un paquebot américain, le T.R. aurait été plus élevé, puisque l'administration française des postes aurait dû rembourser la traversée de l'Atlantique, outre le port intérieur américain, soit 9 cents par tranche de poids (voir exemple ci-dessous).

     Pour les lettres non affranchies expédiées des États-Unis, le taux de remboursement figure généralement dans le cachet à date de départ. Les T.R. peuvent être de 3, 4, 9 ou 12 cents, pour une lettre du 1er échelon. Et donc tous les multiples pour les échelons supérieurs.
     Exemple :
 

Tarif du 1er avril 1857
LETTRE 1er ÉCHELON (jusqu'à 10 g.)
Taxe 80 centimes

     Cette lettre, postée à New-York le 21 juin 1862, a reçu le cachet à date de sortie avec le taux de remboursement 9 correspondant à un acheminement par la voie des paquebots américains, confirmé par le cachet à date rouge d'entrée "3 ETATS-UNIS 3 SERV. AM. CALAIS" (du 5 juillet 1862). La poste française ayant encaissé 80 centimes devra rembourser 9 cents à l'US post office.

 

       Il ne faut donc pas confondre les taux de remboursement avec les taxes, comme on le voit souvent dans les descriptions de lettres à destination des États-Unis.
 

     F.  Les taux de crédit américains (TCA) :
 

        Pour les lettres affranchies jusqu'à destination en provenance des États-Unis : le crédit que la poste américaine doit rembourser à l'Office des postes britanniques pour les lettres acheminées par la voie d'Angleterre, ou à l'Office des postes français pour les lettres acheminées directement en France (l'équivalent du taux de remboursement dans l'autre sens). Ce "Taux de Crédit Américain" figure dans le cachet de sortie du bureau d'échange américain.
        Exemple :

Tarif du 1er juillet 1870
Voie d'Angleterre
LETTRE 1er ÉCHELON (jusqu'à 1/3 once)
Affranchissement à 10 cents

     Cette lettre a été postée à New-York le 25 octobre 1873, où le bureau d'échange a apposé le cachet de sortie "NEW 6 YORK" (6 cents dus à la poste anglaise). Elle a été acheminée jusqu'à Liverpool par le paquebot "Mosel". Elle a transité par Londres le 6 novembre 1873 et elle est entrée en France le même jour : cachet à date noir "ANGL.  AMB.  CALAIS C".

 

     G.  Les marques d'échange franco-britanniques :
 

        Pendant les périodes où les lettres ne pouvaient pas être affranchies jusqu'à destination, un élément supplémentaire apparaît sur les lettres en provenance des États-Unis par la voie d'Angleterre : la marque d'échange franco-britannique, c'est à dire l'indication du montant que la poste française doit payer à la british post office (l'équivalent du taux de remboursement américain) pour le transport jusqu'à Calais.
        Exemple :
 

Tarif du 1er juillet 1871
LETTRE 1er ÉCHELON (jusqu'à 10 g.)
Taxe
1,20 francs

     Cette lettre, postée à San Francisco le 2 décembre, a transité par New-York où le bureau de poste a apposé le cachet à date :
                                            "
NEW
4 YORK BR TRANSIT".
     Le T.R. dû par la poste britannique à la poste américaine est donc de 4 cents. A Londres, la british post office a apposé la marque d'échange "GB 2F". A la différence des T.R. américains, le montant dû par la poste française à la poste anglaise n'était pas calculé par lettre, mais au poids, par tranche de 30 grammes. La poste française devait donc rembourser 2 francs par paquet de 30 grammes à la poste britannique.
     Le destinataire, lui, a payé une taxe de 12 décimes.

 

     Si la lettre est affranchie en timbres américains pour le port US, il n'apparaît évidemment pas de T.R. américain. Seule figure sur la lettre la marque d'échange britannique.
     Exemple :
 

Tarif du 1er janvier 1870
LETTRE 1er ÉCHELON (de 10 à 14,17 g.)
Affranchissement à 4 cents + Taxe 10 décimes

     Cette lettre, postée à New-York le 27 novembre 1872, affranchie à 4 cents jusqu'au port de débarquement anglais, a emprunté le paquebot américain "Manhattan". A Londres, la british post office a apposé la marque d'échange "GB 40C". La poste française devait donc rembourser 40 centimes par paquet de 30 grammes à la poste britannique.

 

     A partir du 1er janvier 1876, et l'entrée de la France dans l'Union générale des Poste, la situation évolue considérablement (voir la présentation "Union Générale des Postes").

 

LES LIGNES TRANSATLANTIQUES

 

     Les tarifs postaux entre la France et les États-Unis étant très dépendants de la voie d'acheminement utilisée, il est intéressant de bien connaître les différentes lignes maritimes reliant les États-Unis à l'Europe.
     Jusqu'en 1864, il n'y eut pas de ligne transatlantique française régulière entre la France et les États-Unis.
     Par contre, il existait deux lignes anglaises et trois lignes américaines qui assuraient le transport du courrier français à destination (ou en provenance) des États-Unis.
 
        1 . Les lignes anglaises de Liverpool à Boston et à New-York :
     Fondée en 1840, la "British-North american contract mail packets", plus connue sous le nom de Cunard Line, assure pour la première fois une liaison régulière entre Liverpool et Boston via Halifax. A partir de 1847, elle alterne Boston avec New-York. Et en 1851, la ligne Liverpool - New-York ne fait plus escale à Halifax.
     C'était de loin la plus importante compagnie sur l'Atlantique nord. En 1849, elle employait sept paquebots : l'Acadia, l'America, le Britannia, le Cambria, l'Europa, l'Hibernia et le Niagara, qui furent complétés ou remplacés ensuite par, l'Africa, l'Arabia, l'Asia, le Canada, le Persia, etc...
 
        2 . La ligne américaine de Liverpool à New-York :
      Cette ligne, ouverte en avril 1850, était exploitée par la "New-York and Liverpool United States mail steamers" (Collins Line). Elle possédait cinq paquebots, l'Adriatic, l'Arctic, l'Atlantic, le Baltic et le Pacific, auxquels vinrent s'adjoindre des paquebots affrétés, l'Ericson et le Columbia, puis le City of Washington.
        Après sa banqueroute fin 1857,
son contrat de transport du courrier fut repris par la
"Liverpool, Philadelphia and New York Steam Ship Company" (Inman Line).
 
        3 . La ligne américaine de Bremen (Brême) à New-York :
     Cette ligne, ouverte en 1847, était exploitée par "l'Ocean steam navigation Company" qui employait deux paquebots, l'Hermann et le Washington. Elle faisait escale à Southampton.
 
        4 . La ligne américaine du Havre à New-York :
     Cette ligne, ouverte en octobre 1850, était exploitée par la "New-York and Havre steam navigation Company" qui employait deux paquebots, le Franklin et le Humboldt, auxquels vinrent s'adjoindre l'Arago et le Fulton. En 1854, le Nashville, le St-Louis et l'Union furent affrétés pour quelques voyages.

     Progressivement, d'autres compagnies maritimes vinrent s'ajouter à ces pionniers : canadienne (à partir de janvier 1860), française (à partir de mai 1864), allemande (à partir de février 1869, via Le Havre), etc.., ainsi que de nouveaux paquebots. Ceci est une autre histoire.

 

LA LIGNE FRANÇAISE DU HAVRE A NEW-YORK

 

     Une loi du 17 juin 1857 avait approuvé l'exploitation d'une ligne de correspondance, au moyen de paquebots à vapeur, entre la France et les Etats-Unis. En application de cette loi, l'Etat conclut le 17 février 1858 une convention avec la société V. Marziou fixant les conditions d'exploitation de la ligne de New-York.
     Mais cette société ne put faire face à ses obligations. C'est la Compagnie Générale Maritime, créée en février 1855 par les frères Pereire, qui reprit en 1860, la concession Marziou.
     En raison de cette importante extension d'activité, la Compagnie Générale Maritime décida de prendre le nom de Compagnie Générale Transatlantique.

     En vertu d'une décision ministérielle du 19 mai 1864, le service du Havre aux États-Unis, concédé par la loi du 3 juillet 1861, à la Compagnie Générale Transatlantique, s'ouvrit, par anticipation, le 15 juin 1864, et, à titre régulier et définitif, le 27 juillet suivant. A compter de cette dernière date, les départs du Havre sur New-York s'effectuèrent de quatre en quatre semaines, le mercredi, à 7 heures du matin, après l'arrivée du courrier de Paris. Ce service était assuré au moyen de deux paquebots à vapeur de nouvelle construction portant les noms de Lafayette et de Washington.

     Il était prévu à la convention un voyage tous les 14 jours, soit 26 voyages annuels. Mais cette cadence ne fut observée qu'à partir de mars 1866, date à laquelle la ligne du Havre à New-York prit le nom de Ligne H.
     Le bulletin des postes de mai 1864, précisait que les taxes à appliquer sur les lettres empruntant la voie des paquebots français devaient être les mêmes que par la voie britannique : 80 centimes par 7,5 grammes.
 
     Pour connaître en détail le fonctionnement de la Ligne H, voir l'étude approfondie de R. Salles (tome IV).


 

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